Lettre de Jenny, modèle, au peintre
Chère Virginia,
Ce n’est pas facile d’oublier le première fois que j’ai grimpé l’escalier jusqu’à ton atelier. J’entendais un vieux couple de voisins s’engueuler au-dessus du blabla de la télé. La cage d’escalier sentait la viande bouillie. Puis j’ai franchi le pallier et je me suis retrouvée dans un petit paradis.
Ça fait dix ans que je pose, mais les premières rencontres avec un artiste sont toujours une remise en question. Est-ce que je lâche mes cheveux pour vanter mes boucles romantiques, ou est-ce que je me fais un chignon pour accentuer les lignes de mon corps, m’imaginant ainsi en quelque sorte plus élégante ?
Je me suis déshabillée. Tu as regardé, timidement mais sans hésitation. Tu as hoché ton approbation. Une semaine plus tard nous commencions.
Ça fait cinq ans que nous travaillons, cherchons ensemble. Nous avons crée un rythme, une danse. Parfois maladroite, parfois pleine de grâce.
J’entends ton énergie pendant que tu peins, le crayon qui gratte, les soupirs de découragement. Tu entends le manège de mes pensées et parfois la respiration régulière d’un petit somme. Je compte les couches de papiers peint qui s’effritent sur les murs. Mon regard s’échappe par la fenêtre et se pose sur les balcons des voisins d’en face dont je m’imagine les vies.
Virginia, on ne se connait pas, mais on se connait jusque dans les détails. Quel plaisir de faire partie de ce petit paradis !
Jenny Doudous
(aka Jenny Levy-Lunt)